top of page

   LA FILLE DANS LA CAGE

Quand elle était petite,  elle ne savait pas qu'elle  Ã©tait dans une cage. Elle courait  partout,  et  personne  ne l'embêter. Puis  ils  ont  commencé  Ã   lui  mettre  des bâtons dans les roues  ;  ça  la  faisait  tomber  et  elle criait. Elle apprit à s'arrêter quand  elle  en  voyait un.  Un jour elle  s'est   aperçue  que  les  bâtons  faisaient une barrière de  loin  ;  Ã§a  ne  l'inquiétait  pas de trop parce qu'il lui restait encore beaucoup de place.  Mais petit à petit en grandissant,  elle  remarqua  que tous ces bâtons formaient une barricade  continue devant, derrière et surtout sur  les  côtés.  Ses  camarades  se plaignaient aussi des mêmes obtacles... Ils décidèrent de protester et  de  se  battre  pour  faire  tomber  les clôtures. Seulement ils avaient beau  se  jeter  dessus, les secouer, les mordre, crier, pleurer,  ils  n'arrivaient qu'à se faire mal  et  Ã   déchirer  leurs  vêtements.  La plupart en atteignant  18  ou  20  ans  se  résignèrent. Elle se rendit  compte  qu'elle  se  retrouvait  seule  et que les barreaux se  rapprochaient  de  plus  en  plus. Elle essaya de passer par-dessus. En grimpant elle vit qu'il y en avait  aussi  en  haut  et  que  ça  faisait  une cage.  Alors elle prit peur.  Les   jours  passaient  ainsi. Le terrain se resserrait.  Elle ne pouvait  presque  plus bouger. Les barres  se  rapprochaient  d'elle.  Elles  ne furent plus  qu'à  quelques  mètres,  puis  Ã   quelques centimètres. Elle  Ã©tait  obligée  de  tout  calculer.  Elle n'avait plus le droit de rien faire. La cage commença à la serrer, à coincer  son  buste,  sa  tête,  Ã   former  un corset. Quand  elle  fut  tout  Ã   fait  ficelée,  elle  n'eut plus de problème.  Elle n'avait qu'à  faire  exactement ce que la cage lui laissait comme seule possibilité. Elle n'avait plus qu'à se laisser faire. Elle vivait  comme  ça depuis plusieurs mois,  respirant  Ã   peine ,  voyant  et entendant  Ã   peine,  gênée  par  les  barreaux  placés devant ses yeux et ses oreilles. Lorsqu'un matin en se levant  pour  aller  travailler,  elle  oublia  par  méprise son armature  de  fer,  et  passant sans  doute  par  la faille de la discontinuité elle se retrouva  alors  sur  sa descente de lit,  nue,  libre  et  affolée  totalement,  ne sachant quoi faire et quoi penser. 

Heureusement que cela dura qu'un bref instant, sans quoi elle serait morte.  Pendant longtemps, elle vécut dans  la  terreur  que  cela  ne  se  reproduise.  Petit  Ã  petit elle  se  rassurait  et  en  même temps  se  posait des questions.  Puisque la cage avait disparu une fois, se  pourrait-il  qu'elle  soit vraiment mobile ?  Comme elle ne voulait pas  revivre  la  même  expérience  tout aussi traumatisante,  elle résolut  de  s'y  préparer  au cas où les choses iraient mal.

 

Elle s'entraîna  Ã   dévisser  un  barreau.  Mais  comme dans son enfance,  elle n'y arriva pas plus  que  par  la violence. Il devait y avoir autre chose.  Elle essayait de se fortifier devant la possibilité de  se  retrouver  sans le soutien de sa  cage,  mais  c'était  très  dur  car  elle avait peur. A force de se réprimander pour sa lâcheté elle arriva à l'idée  de  rechercher  la  même  situation que la première fois et elle fit le vide dans sa  tête ; ça ne marchera pas  tout  de  suite,  et  en  tout  cas  pas très bien. Pendant  qu'elle  flottait  dans  le  vague,  sa main bougeait dans le vide. Elle n'arrivait pas à savoir si c'était en rêve ou si  c'était  bien  réel. Elle   remuait  la tête sans rencontrer aucune résistance, mais si elle ouvrait les yeux, vite la cage se refermait.

 

A force d'entraînement elle réussit un jour, au bureau pendant que son chef lui dictait une lettre  Ã   taper,  Ã  dessouder carrément une barre qui la gênait  dans  le dos  et  Ã   la  poser  sur  la  table, tandis que  son  dos fléchissait   gracieusement  jusqu'au  sol  Ã   la  grande surprise de son chef.

 

A partir de là,  tout  alla  très  vite.  Elle  s'était  rendue compte que la cage prenait à volonté la forme qu'elle voulait lui donner.  La cage Ã©tait fictive.  Effectivement elle ne fonctionnait que dans son esprit.

 

Elle n'eut qu'à apprendre  Ã   marcher  sans  corset  et puis quand elle fut plus forte, à  se  servir  de  la  cage comme levier pour aller plus loin. 

 

  

     L  E  S    E  T  O  I  L  E  S

Il ne pouvait pas s'empêcher de dessiner des oiseaux au lieu de préparer ses examens.  Il faisait des taches sur les cahiers,  sur les livres,  transformant  les  traits en ailes et griffes.

 

A travers  les  arbres, le  soleil  formait  des  ronds  de lumière. Il aimait  le  tout  début  de  la  journée.  Il  se levait,  préparer son petit déjeuner et allait le prendre sur la terrasse. C'était un moment très délicieux. Tout allait bien jusqu'à ce qu'il ait préparé son matériel  de travail. Placer les crayons, les  papiers,  les  brochures en les  entassant  soigneusement  et  rigoureusement presque avec élégance et panache lui convenait alors parfaitement. Ensuite une certaine panique le prenait ne voyant personne jusqu' à midi. Une  vieille  femme lui apporter son repas. Il était prisonnier  en  quelque sorte.  Non qu'il n'ait pu  sortir,  mais  il  se  devait  de préparer cet examen.  On  l'avait  laissé  pour  ça.  Ses soeurs,  ses parents,  ses grands-parents étaient  tous au bord de la mer. Il n'avait pas à se plaindre du tout. D'autres   camarades  bossaient  dans  leur  chambre étouffante d'étudiant. Lui, il avait un jardin, petit mais abrité des regards.

 

Par moment les oiseaux tombaient en grappe sur les miettes du déjeuner. Il les confondait tous alors. Puis il restait seul de nouveau et il  dessinait  des  oiseaux. Celui-ci  avait  des  petites  pattes  poilues,  larges,  en forme de pantoufles qui pataugeaient  sur  le  rebord mouillé du bassin.

 

Le soir il regardait les étoiles rien d'autre. Les oiseaux dans la lumière du jour et le soir  les  Ã©toiles, pendant des heures.  La veille, il avait vu encore en naître une. L'instant d'avant,  rien.  Brusquement,  un autre point scintillait.  C'était terrible.  Quand ça lui arrivait, il n'en dormait pas de la nuit. Cela  signifiait  une  naissance. Non pas qu'un enfant venait de naître, ce  serait  trop simple. Ou même qu'il était conçu à ce moment-là.

 

D'après une de ses  anciennes  lectures,  la  naissance d'une étoile correspondait à une  conception  astrale. De là, des questions multiples.  Une étoile ne naît pas en réalité. Elle apparaît ainsi brusquement à nos yeux parce que sa lumière a traversé la distance  qui  nous sépare  d'elle.  L'idée  d'une  naissance  est  déjà  plus floue. Ce n'est pas tout.  Des milliers de gens naissent tous les jours.  On ne voyait pas s'allumer des milliers de lucioles dans le ciel. Même si la  plupart  éclose  en plein jour,  il  en  resterait  bien  une  grande  quantité pour l'obscurité. Il avait beau scruter la nuit profonde il ne les voyait pas apparaître en nombre.    

Ce n'est pas fini.  Une conception astrale se fait un an avant  la  naissance,   c'est-à-dire  trois  mois  avant  la conception physique. Si  cet  Ã©noncé  était  tout  Ã   fait vrai, comment l'étoile, la conception astrale et la date de cette dernière pouvaient,  elles,  coïncider, avant la réalisation  concrète.  Cette  seule  pensée  le  rendait fou. Bien sûr, on avait  des  coïncidences  troublantes. Lorsqu'un enfant,  nommé  Jésus,  Ã©tait  né  dans  une étable à Bethléem,  sa naissance avait été annoncée à trois rois mages,  un  an  auparavant,  par  une  étoile. Trois  mois  donc  avant  la  conception  de  l'enfant. A cette même date,  l'archange Gabriel était alors  venu prévenir Marie. Les 3 rois  mages  venus  de  contrées lointaines, avaient fait ce long voyage  pour  arriver  6 jours après la naissance. Pour parachever le mystère, Hérode ce roi cruel qui ne voulait pas entendre parler d'un futur roi des Juifs,  en  apprenant  de  la  bouche même des rois mages que l'étoile les avait avertis  un an auparavant fit tuer,  pour être sur de tomber dans le bon créneau,  tous les enfants de moins  de  2  ans, ce qui prouvait qu'on peut être cruel et avoir entendu parler de conception astrale.

 

Il y avait pire.  Si une naissance est prévue dans le ciel un an avant, la jeune mère qui n'est pas fécondée, se doit de l'être dans les trois mois suivant la conception astrale. Sinon elle risque de faire éventuellement une fausse couche ou au mieux de mettre  au  monde  un enfant  prématuré.  Quelles  sortes  de  processus  se  mettraient ainsi en  place,  poussant  tout  individu  Ã   s'accoupler  sous  peine  de  rater  le  rendez-vous  du cosmos ?

 

Il pensait  que  des  forces  mystérieuses  devaient  se mettre en mouvement à l'insu  des  Ãªtres,  expliquant comment des attitudes provocantes  de  jeunes  filles jusque-là  pudiques, pourraient inciter viols, coups de tête ou coups de foudre.

 

Cela ne  collait  pas  avec  sa  propre  idée  d'alléatoire absolu,  de processus libertaire,  de révolution  totale, de refus du fatalisme. Et  il  ne  pouvait  pourtant  pas s'empêcher d'y penser à chaque fois qu'il  voyait  une étoile sortir de l'ombre juste sous ses yeux.

 

Voilà pourquoi il dessinait des oiseaux.  Celui  au  bec noir dont le vol très régulier laissait  croire  qu'il  allait tomber, le petit  au  culot  insolent  et  l'autre  un  peu malade  qui  boitait  ostensiblement,  il  les  retrouvait sur ses pages. Il serait recaler à son examen. Mais ces étoiles...   Non,  il était obligé de dessiner des oiseaux, ou sans cela il deviendrait fou.

 

                                                                    

DE L'INTERÊT D'ÊTRE CHIEN

- Vous pouvez dormir tranquillement au bureau.

 

- Vous n'avez pas à laver vos vêtements, ni porter des culottes.

 

- Vous pouvez manger votre désert sous la table, puis sauter sur une jolie fille dans la rue,  dormir  pendant que Tante Adèle raconte ses liftings au dîner, et aussi grignoter les chaussures des invités.

 

- Vous ne vous lassez jamais de voir les mêmes têtes.

 

- On ne oblige pas à porter des bretelles, à vous raser le matin, Ã  jouer au tennis, ni  à  être  au  courant  des dernières nouvelles.

 

- Vous se serez jamais interviewé pour un sondage, ni même interdit bancaire.

 

- Et vous ne savez pas que tout à une fin.

  GISELA   ET   LE   SERPENT

En passant dans le couloir,  Gisela vit une très grande corbeille dans laquelle dormait un énorme  boa.  Une étiquette signalait que le serpent n'était  pas  du  tout dangereux. Toutefois la jeune fille prudente, se garda bien de heurter la corbeille et fut interloquée lorsque Gisela vit sa petite soeur caresser la  tête  triangulaire de la bête qui tout de suite fit jaillir de  sa  bouche  un bon mètre d'anneaux et saisit la main de la fillette qui se mit aussitôt à pleurer.  Gisela,  avec  une  présence d'esprit qui l'étonna elle-même,  tira  sa  soeur  par  le bras et donna une tape vigoureuse  entre  les  2  yeux de l'animal qui lâcha prise tout en louchant.

 

Mais ne voilà-t-il pas que cette sotte de Janet remit ça en penchant sa tête au-dessus de la paille,  et  le  boa lui arracha une bonne poignée de  cheveux  avec  des dents qu'il avait  proéminantes,  surtout  les  deux  de devant qui le faisait ressembler à  la  Janet  d'avant  la pose de son appareil dentaire.

 

Ces taquineries ayant sans doute Ã©nervé le reptile, ce dernier se déroula carrément dans  le  couloir  et  vint s'enrouler autour de Gisela qui  s'était  réfugiée  dans le bureau.  La situation était gênante,  surtout pour la jeune fille qui pouvait à peine respirer. Elle regarda le serpent devenu assez contradictoire, surtout dans les yeux et s'aperçut,  Ã  sa grande  surprise,  que  ceux-ci étaient quasiment humains, quoique un peu humide, d'une humidité lubrique.  Cela  ne  plut  pas  Ã   Gisela. Mais que faire, à part faire  du  charme  pour  essayer d'amadouer la bête.  Elle pensait à ces contes de fées dans lesquels on a toujours une  noix  magique  dans sa poche qu'une bonne fée vous a offert récemment.

 

Hélas,  l'histoire ne comptait rien de magique,  à  part les anneaux du haut qui  s'étaient  transformés  en  2 bras, rendant le piège de plus en plus humain proche du prince  charmant,  ne  serait-ce  que  cette  terrible pression diabolique  et  même  satanique,  devrait-on presque dire.  Gisela  sentait  la  virilité  psychique  de l'individu se coller à sa peau, comme  si cela était une demande d'épousailles qui n'était pas du tout de  son goût. Le prétendant n'était pas son genre.

 

Toutefois, pendant qu'elle lui donnait quelques petits baisers sur la  joue  pour  l'amadouer  et  lui  montrer qu'elle n'est pas  raciste,  ni  sexiste,  mais  seulement indifférente au mariage,  surtout dans le cas  présent, il lui vient l'idée de dialoguer :

 

- Pourquoi vous  ne  desserreriez-vous  pas  vos  bras, demanda-t-elle en se  tortillant ?  Vous  ne  voyez  pas que vous me serrez ?

 

- Parce que vous vous échapperiez, pardi,  répondit le serpent avec une logique  parfaite  qui  montrait  qu'il n'était pas du tout bête.

 

- Mais nous n'allons pas rester coller comme ça toute notre vie ? Ce n'est pas pratique.

 

- C'est donc que je ne vous plais pas ?  Sans quoi vous ne diriez pas cela.

 

- Oui, j'avoue que vous ne ressemblez  pas  du  tout  Ã  mon  idéal.   Quoique,   ajouta-t-elle   précipitemment pour ne pas  le  vexer,  en  le  sentant  trembler,  vous parlez bien, vous  êtes  assez  beau  dans  le  haut  du corps et quant au bas il est vraiment magnifique pour un serpent.

   

- Si ce n'est que ça s'écria l'animal je peux y remédier. Je suis capable de devenir ce que vous voulez.  Il n'y a qu'à le dire. Et il sauta sur deux immenses jambes qui avaient remplacé sa longue queue. Il devait bien alors mesurer dans les 3 mètres.  Gisela devait lever la tête pour apercevoir celle du démon,   car  cela  devait  en être un pour se permettre de telles incongruités. Une personne de bonne compagnie ne se serait pas  ainsi risquer à sortir autant des normes.

 

- Et bien, qu'en dites-vous,  disait  le  diable  pitoyable, car on sentait qu'il cherchait à bien faire ?

 

Gisela faisait la moue. Toujours prudente,  elle n'osait se prononcer et cherchait  comment  se  sortir  de  ce mauvais pas.

 

- Ce n'est pas  tout  Ã§a.  Il  faut  maintenant  que  j'aille éplucher les pommes de terre.

 

- Je pourrais tenir compagnie au serpent pendant que tu y vas, proposa Janet. Le serpent devenu  un  géant, ne semblait pas d'accord.

 

- Mais enfin, il faut bien préparer à manger, trépignait Gisela.  Vous devriez aller vous promener un peu  sur le chemin, voir les voisins. S'ils en ont envie, rajouta-t-elle après reflexion. Et puis, vous m'embêtez à la fin.

 

Elle n'aurait pas dû dire cela  ;  elle s'en rendit compte tout de suite. Ce magnifique géant au regard toujours diabolique, se pencha et remit ses  deux  bras  autour d'elle comme  ferait  un  boa  contrarié.  C'était  assez flatteur mais aussi inquiétant. Elle réfléchit alors.  Elle n'avait pas envie  de  céder  au  désir  lubrique  de  ce moitié diable, moitié bête malgré sa force stupéfiante qui ne la troublait du tout, car finalement  elle  voulait retrouver la liberté d'aller et venir comme elle voulait.

 

-Vous m' avez dit que vous pouviez devenir n'importe quoi, si je vous le demandais, murmura-t-elle ?

 

- Absolument,   approuva  fièrement  l'animal  devenu béat devant sa puissance.

 

- Même de vous transformer en souris ?

 

- Regardez.  Et  le  géant - diable - serpent  devint  une petite musaraigne que Gisela mis dans sa poche.

 

- Est-ce que tu peux me la donner,  demanda  Janet  Ã  sa soeur ?

 

- Bien sûr, mais fais attention à ne pas l'écraser.

 

- Gisela était bien contente de s'être enfin débarassée de cet objet encombrant.  En  remontant  de  la  cave, elle vit Janet assise sur le balcon  en  compagnie  d'un petit garçon qui avait posé sa tête sur  son  épaule  et mis ses bras autour d'elle d'une façon possessive.

 

- C'est le serpent,  demanda Gisela à sa  soeur ?  Janet acquiesça d'un signe de tête embêté.

 

- Dans le fond,   on  n'a  jamais  exactement  ce  qu'on désire, soupira  Gisela.  Quoique  l'on  obtienne,  c'est toujours encombrant.  Il vaut mieux ne rien désirer et se contenter de ce que l'on a, conclut-elle.

 

                                                           Chloey Till 

bottom of page