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                    Une nouvelle de science-fiction de Michel PIQUEMAL

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                            C A N D I D E    2 0 6 4

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Lorsque le cargo-astronef, sur lequel il voyageait, se posa sur la planète Noflouz, Candide se sentit un peu barbouillé. Ses employeurs n'avaient pas  été  des  plus généreux  question  frais  de  déplacement, et  il  avait  dû  prendre  un  vaisseau intergalactique low-cost sur lequel la qualité  des  réducteurs  de  temps  laissait

à désirer.

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Mais il oublia ses embarras gastriques, tant il était tout à fait impatient de faire  connaissance  avec  Noflouz  et   son   incroyable   système   économique.   Aussi  extravagant  que   cela  puisse  paraître,   on  prétendait  que  sur cette   planète l'argent avait une valeur limitée dans le temps.

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En ce milieu du troisième millénaire, sur notre bonne vieille Terre,  les problèmes de croissance étaient le casse-tête de tous les gouvernements tant ils engendraient de désastres écologiques. En retour,  toutes  les tentatives pour revenir à une croissance zéro avaient échoué,  car le chômage induit par la décroissance créait de graves troubles sociaux. Le département de l'université Paris VIII se penchait  donc  avec  attention  sur  les autres modes de fonctionnement sociétal de la galaxie.  Peut-être,  se  disait-on,  les  solutions  viendront-elles d'ailleurs ? Et pourquoi pas du ciel ?

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Un programme de recherche avait été validé,  dans lequel la planète Noflouz occupait une place de choix pour son étonnant système économique. Candide,  qui n'était qu'un simple étudiant,  s'était  porté  volontaire  pour une délicate mission d'exploration ; et si son dossier avait été choisi, c'était sans doute parce que les candidats ne se bousculaient pas au portillon.

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Son départ prit cependant quelque retard car l'université  se  heurtait  au  casse-tête  du  financement  de  son séjour sur place.

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En  effet,  en choisissant l'instabilité de sa monnaie,  Noflouz s'était,  de fait,  exclu du système de change inter-

galactique. Sa devise, le flaz, n'avait cours nulle part ailleurs.  Pour les étrangers qui souhaitaient y résider, il ne restait que la possibilité d'un troc préalablement défini.  Finalement, on décida que Candide transporterait des sacs de cacahuètes,  une friandise qui ne poussait  pas  sur  Noflouz,  très  appréciée  des  autochtones.  A  son arrivée, il put donc échanger ses sacs contre une rondelette somme de flaz.  Mais comme on l'avait prévenu,  il put lire au dos du papier monnaie que sa validité  n'excédait  pas  un  mois.  Un  petit  peu  comme  la  date  de péremption inscrite sur nos yaourts. Au-delà sa valeur serait nulle. Le séjour de Candide  ne  devant  alors  pas excéder deux jours, cela ne lui causait pas d'inquiétude.

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Il était donc désormais en mesure de procéder à ses explorations. L'idée qu'il allait se payer un palace  de  cinq étoiles pour quelques cacahuètes le mettait en joie.  Le conducteur de taxi examina avec précaution  son  billet puis le conduisit dans un hôtel les plus luxueux.

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Sur le trajet,  Candide s'étonna auprès du chauffeur du nombre incroyable de maisons  qui  semblaient  n'avoir jamais été terminées.  Celui-ci lui expliqua que le système de crédit n'existait pas  sur  Noflouz.  On  ne  pouvait construire qu'au fur et à mesure  de  ses  moyens...  brique  après  brique  pour  ainsi  dire.  Seul  l'Etat  pouvait financer de grands travaux,  car l'argent des impôts échappait  aux  problèmes  de  péremption.  Candide  nota précautionneusement ces bizarreries dans son calepin.

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Après avoir pris le repas au soir dans sa chambre,  il descendit pour aller se détendre un peu au bar.  Là,  il  fut étonné de l'effervescence qui y régnait.  Un homme y payait la tournée à  qui  souhaitait  trinquer.  Devant  son étonnement,  le barman lui expliqua qu'il s'agissait de ce qu'on appelait ici un potlach  :  l'homme  en  question détenait une forte somme qui n'aurait plus cours le lendemain. Il devait donc en faire usage le plus vite. 

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La soirée fut riche en libations car l'homme entraîna Candide dans une tournée des bars de la ville. En chemin, il payait à manger à qui le lui demandait. Et il fut ainsi le plus heureux des hommes lorsqu'il  se  retrouva  enfin à cours d'argent. Il s'appelait Cougloss et trouvait que tout allait pour le mieux dans le système noflouzien.

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Le lendemain, Candide se réveilla avec un léger mal de tête. Mais il s'était fait un ami. Vers midi Cougloss revint le chercher. Il voulait lui montrer de plus près comment fonctionnait leur petit monde. 

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Ils flânèrent au gré des rues,  visitant plusieurs galeries d'art et d'artisanat,  car  les  artistes  étaient  nombreux sur Noflouz.  En  effet,  les  personnes qui avaient de gros salaires,  ne pouvant pas  les  thésauriser,  avaient  à coeur d'acheter de belles choses.

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Puis en traversant un jardin public,  ils  croisèrent  des  citoyens  qui,  montés  sur  une  estrade,  venaient  faire financer gracieusement de gros projets à court terme...  et Candide s'étonna des élans  de  belle  solidarité  qui s'y exprimaient :

- il me faudrait 200 flaz pour changer le lit de ma fille ;

- j'ai besoin de 120 flaz pour réparer une fuite dans ma toiture ;

- il me manque deux mètres cubes de briques pour finir mon mur. Qui peut donner 400 flaz ? ...

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Ceux qui avaient de l'argent en passe de se périmer n'hésitaient pas à donner avec  enthousiasme.  Il  semblait même qu'ils prenaient plaisir à se dépouiller.  Il faut alors dire que ceux qui bénéficiaient  de  leur  aide  les  en remerciaient avec beaucoup de beaucoup de chaleur.

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Les deux journées de Candide sur Noflouz passèrent comme dans un songe. Les deux amis allèrent de fête en fête et burent plus que de raison.

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L'apothéose fut le potlach de Candide. En effet,  comme il quittait définitivement la planète,  il  eut  à  coeur  de sacrifier à cette belle coutume et de rendre verre sur verre.  Tout cela,  grâce à des cacahuères,  songeait-il tout en riant.

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Les adieux furent émouvants car, au pied de l'astronef Candide eut du mal à quitter son ami.

-  Alors, lui demanda Congloss, quelle opinion allez-vous emporter de notre façon de vivre ?

-  Je serai sincère,  lui dit Candide.  Les Nofloutiens sont des gens formidabl s.  J'ai  adoré  ces  journées  passés avec vous... Mais tout de même, ne put-il s'empêcher d'ajouter, votre façon d'organiser l'économie est des plus bizarres.

-  Ah bon, sourit Congloss ?

-  Oui, par exemple, sur votre planète, on ne peut réellement s'enrichir.  Or,  chez nous,  c'est  vraiment  un  but pour beaucoup d'êtres humains de posséder sans limite. Ils y gagnent une grande respectabilité.  Ainsi, grâce à leur talent,  une dizaine de personnes,  qu'on appelle des milliardaires,  détiennent à elles seules la moitié  des biens de la planète !

- A mon tour de m'écrier "quelle bizarrerie !", lui sourit son ami.  Ainsi  vous  tolérez  donc que  des  millions  de personnes vivent sans ressources alors que quelques-uns  possèdent  tout. Vous  tolérez  même  que  certains meurent de faim alors qu'un seul citoyen a de quoi manger mille fois par jour. Oui,  Candide,  je vous aime moi aussi beaucoup ! Mais tout de même, quelle bizarrerie que votre façon de vivre. 

Et il le gratifia d'un grand sourire.

Candide monta sans l'astronef perplexe.

Il n'avait plus aucune certitude.

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                    Et si demain la valeur de l'argent avait une date de préemption ? 

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                     Une nouvelle de science-fiction de Claude ECKEN

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                      LE  PARADOXE  DU  MIROIR

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"Où sont-ils ? Le paradoxe de Ferni est désormais explosé ! Ex-plo-sé ! Ils sont sur Mymirror, une étoile dans le bras du Sagittaire dans la partie éloignée du centre de la Voie Lactée.  Vous voulez des chiffres ?  C'est  E-V  1712418d,  planète  d'une taille entre la Terre et Mars,  autour d'un Soleil de type F2,  plus chaud que notre étoile. On y a trouvé de la vie, mais pas question  d'y  aller  voir !  40 250  années-lumière, c'est loin !".

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-- Comment il sait qu'il y a de la vie, alors ? demande Ho, assis en tailleur devant l'écran.

-- Parce que je lui ait dit, sourit Jill. Pourquoi serions-nous seuls dans ce vaste univers ?

Au même moment, le journaliste se tourne vers une femme brune, aux cheveux ras, aux grands yeux d'un vert liquide sur lesquels zoome la caméra. Jill s'entend expliquer qu'on  a  détecté  de  l'oxygène  dans  l'ionosphère. Celui-ci est normalement absorbé par la roche,  sauf en cas d'activité biologique.  Outre  le  fameux  dioxygène O2, on a trouvé des ions O+, un signe de photosynthèse, même  si  des  processus  naturels  peuvent  aussi  en être à l'origine. 

"Mais vous,  vous avez fait plus,  beaucoup plus !"  s'exclame alors le journaliste,  comme s'il entreprenait de lui expliquer ce qu'elle a découvert .  Jill pense qu'elle n'y est  pour rien.  Elle  n'est  que  la  directrice  du  projet  X-Bio+, une extension du programme SETI à l'écoute des étoiles.  C'est  le  super  télescope  E-VELT  qui  a  repéré les franges d'interférence très particulières  de  cette  exoplanète.  "Vous  avez  trouvé  une  techno-signature !" renchérit le journaliste. Des applaudissements retentissent.  Ce jour-là,  ils n'étaient pourtant que deux dans la salle de l'European-Very Extremely Large Telescope. "Des radiofréquences typiques d'une émission enregistrée comme la nôtre en ce moment !". "Analogues, et non typiques", rectifie Jill.

En réalité,  il a fallu à la communauté scientifique vingt mois de rudes polémiques  pour  déterminer  la  nature de ces signaux.

Le reste de l'humanité ne l'a pas attendue pour spéculer sur cette civilisation entrée dans  l'ère  technologique. Il ne se passe pas un jour sans qu'un linguiste ou un groupe auto-déclaré d'experts  en  cryptologie  ne  déclare avoir décodé les messages tombés des étoiles. Pour ce qu'on en sait, ces bruits peuvent  aussi  bien  créés  par le champ électromagnétiques de moteurs géants. Mais on préfère  y  lire  des  appels  pacifiques  ou  bien  des déclarations bellicistes, y voir des images d'actualités, comme  celles  de  la  première  émission  télévisée,  aux Jeux Olympiques de  Berlin, que  rappelle  Carl  Sagan  dans  Contact.  On  semble  avoir  oublié  que  ce  même astronome a dit qu'à affirmation extraordinaire il faut une preuve extraordinaire.   

Tous les télescopes sont tournés dans la direction  de  la  planète  mystère.  Même  l'important  jeu  de  miroirs assemblés dans l'espace ne parvient pas à la voir, mais l'analyse des longueurs d'onde  en  dit  déjà  beaucoup. Eau,  gaz carbonique,  méthane,  ammoniac,  c'est  une  planète  semblable  à  la  Terre.  La  presse  diffuse  des portraits d'extraterrestres élégants  ou  hideux,  réactualisant  pour  l'occasion  les  plus  frappantes  visions  du cinéma et de la littérature. Pourtant, s'il ne faut retenir qu'une chose de l'évènement, c'est juste ceci  :  il  existe de la vie intelligente ailleurs !

Ho ne semble pas frappé par la révélation.  Les séries et les jeux vidéo qu'il consomme font des extraterrestres une évidence. Jill lui explique  qu'avant cette découverte,  on n'avait aucune preuve de leur existence,  même si l'équation de Drake,  qui  évalue  les  probabilités  d'apparition  de  chaque  paramètre  indispensable  à  la  vie, aboutit à un résultat positif.

-- La vie a très bien pu éclore ailleurs, un million d'années avant la naissance  de  notre  Soleil,  ça  change  tout. Imagine... En cent ans, nous sommes passés  du télégraphe à la télévision,  et en soixante-six ans,  du  premier avion à la marche sur la Lune. Dans trois ou cinq siècles,  nous  aurons  colonisé  le  système  solaire.  Il  faudra certainement plus de temps pour aller au-delà.  Mettons mille ans,  ou même deux mille.  Dans  dix  mille  ans, nous aurons, nous occuperons un rayon de cent années-lumière, ou plus.  Et dans un million d'années ?  Toute la galaxie, peut-être.  Enrico Ferni pensait qu'une vie surgit avant nous a forcément essaimé sur une infinité de mondes et que devrions en avoir les traces tu comprends. Alors pourquoi le ciel est-il resté vide si longtemps ? -- Parce qu'on est les premiers ? 

-- Ce serait quand même étonnant, dit Jill, qui reconnaît en son for intérieur  que  l'enfant  a  raison  :  une  telle probabilité restait non nulle.

Elle lui expose les hypothèses développées pour justifier le paradoxe de Ferni  :  sphère de Dyson  qui  entoure tout un Soleil pour en récupérer l'énergie, indifférence pour  la  conquête  spatiale,  dissimulation  de  l'humain jugé méprisable ou dangereux, ou pire, mort  de  la  civilisation  avant  son  accès  à  l'espace.  Un  scénario  qui reste d'actualité pour l'humain s'il continue à saccager la planète.

-- Ils peuvent nous détruire ?

-- Quelle drôle de question !

Après la question de leur apparence, l'intérêt du public s'est déporté sur les intentions des  étrangers,  comme si la découverte d'une autre vie avait été réciproque.  La paranoïa s'est emparée du sujet.  Qu'on  le  veuille  ou non, la question de la supériorité technologique est cruciale et l'antériorité des habitants  de  Mymirror  plaide pour leur suprématie. Des associations militent pour qu'on cesse d'émettre des ondes visibles depuis l'espace, de crainte qu'une intelligence stellaire les repère. Cela reviendrait à renoncer  à  l'électricité  et  à  retourner  au Moyen-Âge.

-- Il faudrait déjà savoir si nous sommes en concurrence, si nous exploitons les mêmes ressources.

On sonne à la porte. Comprenant que sa mère vient la chercher, Ho se hâte de récupérer ses affaires.

Mei remercie Jill qui répons que c'est un plaisir.  Ho égaie l'appartement  de  sa  juvénile  énergie.  Mei  regarde l'écran.

-- Ho voulait que je lui montre...

-- A l'école, il  a  dit  qu'il  connaissait  la  belle  célébrité  qui  a  découvert  les  extraterrestres.  Du  coup, on  lui demande si la menace est réelle.

-- La belle célébrité ? Sérieux ?

Le présentateur demande justement s'il faut d'abord s'extasier devant sa  grande  beauté  ou  son  intelligence. Agacée, Jill stoppe l'enregistrement. Elle  approche  de  la  quarantaine.  Où  sont-ils,  les  prétendants  que  son physique a séduits ?  Elle se dit que son intelligence a refroidi leur élan.   Ou  bien  son  poste  élevé.   Peut-être a-t-elle consacré trop de temps à la recherche et pas assez à sa vie privée ?  Une  vieille  déception  amoureuse lui a appris à ne pas s'engager trop vite. Il y a bien Alex, un exobiologiste,  qui la couvait du regard,  mais  c'était avant de partir en mission à l'observatoire de Polynésie. Qu'espérait-elle ?

-- La menace est juste une invention commerciale. La peur est le meilleur argument publicitaire du journaliste.

La conversation est interrompue par un appel.

-- Comment ça va, là-bas ? demande Jill tout en saluant de la main Mei et Ho qui referment la porte sur eux.

-- Je suis de retour, répond Alex sur l'écran tactile. Il faut qu'on se voie.

Il lui apprend que le vent de panique à propos d'une guerre des mondes ne fait que s'étendre.  Déjà,  les Etats-Unis renforcent leur présence militaire dans l'espace au lieu de donner la priorité au voyage spatial.  "  On  s'est dit  qu'en tant que découvreuse de Mymirror, la belle célébrité parviendrait à calmer les esprits ". Ainsi, Alex vient de la persuader de militer.

Dans les semaines qui suivent.  Ils multiplient les interventions.  La presse fait d'eux un couple avant qu'ils n'en deviennent réellement un. Alex  a réussi à vaincre ses résistances.

-- Pourquoi n'as-tu rien dit avant ?

-- Avant la Polynésie ? Comment aurais-tu réagi ?

-- Mal, reconnaît-elle.

Les deux scientifiques ont beau faire savoir qu'on n'a jamais observé chez les alliens un début de vol spatial, et que, même à un tiers de la vitesse de la lumière, le trajet prendrait cent-vingt mille ans, rien n'y fait.  Ce que les télescopes ont vu dans le ciel est vieux de quarante mille ans.  On parle aussi de progrès technologiques, qu'ils auraient pu faire, de trous de ver et d'hyperespace.

Cette peur a le don d'unir le monde face à un ennemi imaginaire. On fait la paix, on  commence  à  remettre  la planète en ordre de marche.

Le vrai paradoxe est que cette découverte aura été une chance pour l'humanité, dit Alex.

Jill caresse son ventre, depuis qu'elle y a détecté les premiers signes.

C'est aussi mon avis, dit-elle, comprenant du coup comment faire leur message.  Ainsi,  un signe de vie permet toujours d'aller de l'avant.

  

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                           Et si demain nous obtenions la preuve d'une vie ailleurs ?

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